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Souvenirs henri
17 février 2014

Mes débuts à l'Aérospatiale

 

 

En janvier 1972, j'entrais au bureau d'études de l'Aérospatiale en tant qu'ingénieur débutant dans le département Qualité de vol, service Systèmes de pilotage.

Ce département ne comprenait que des ingénieurs, environ une vingtaine. Il était situé à Blagnac dans un petit bâtiment qui longeait la route qui mène à l'aéroport.

Mon travail consistait à modifier les paramètres des lois de pilotages automatiques pour améliorer les conditions de vol du Concorde prototype 03 et du premier Airbus A 300 .

Le concorde avait déjà effectué son premier vol mais pas l'Airbus. 

On étudiait par exemple le mode maintien d'altitude et l'atterrissage automatique.

Nos études étaient essentiellement théoriques. On les validaient sur des programmes informatiques qui tournaient sur l'unique ordinateur du bureau d'études.

On développait ces programmes en langage Fortran et comme il n'y avait pas encore de console de visualisation ni de clavier , on dialoguait avec l'ordinateur au moyen de cartes perforées que l'on rangeait soigneusement dans une boite.

On emmenait cette boite jusqu'à la salle des machines en faisant bien attention de ne pas mélanger les cartes en tombant car dans ce cas le programme était modifié et il fallait tout recommencer.

Les paramètres calculés par simulation informatique étaient validés par nos responsables, puis passaient par des commissions sous le contrôle des pilotes d'essais.

Ils étaient ensuite testés sur le premier et unique simulateur de vol qui comprenait pour la première fois des éléments simulés et des éléments réels.

Ces paramètres une fois validés étaient envoyés au département électronique du bureau d'études qui développait les équipements correspondant aux systèmes de pilotage longitudinal, latéral et lacet ainsi qu'à l'auto manette.

Tous ces équipements étaient encore développés sur cartes électroniques car les calculateurs que l'on estimait peu fiables étaient encore interdits à bord des aéronefs.

Une fois développés ces systèmes étaient installés sur les avions pour effectuer les essais en vol.

Puis, suite au rapport des pilotes d'essais ont faisait des modifications sur nos programmes et le processus simulateur, modification de l'équipement, installation sur l'avion, essais en vol recommençait jusqu'à la certification du système.

Les études étaient très longues et parfois il se passait plus d'un an entre notre proposition de spécification de paramètres et la validation en vol d'essais.

On faisait aussi beaucoup de calculs mathématiques directement à la main car il n'y avait pas encore des calculettes électroniques.

On utilisait des règles à calcul. C'était un instrument étrange que l'on ne trouve aujourd'hui que dans les musés. J'ai toujours à la maison ma vieille règle. Je l'avais acheté à l'université avec sa partie fixe, sa partie mobile et son curseur on pouvait faire des calculs très complexes comme des logarithmes, des puissances, des racines, des sinus, cosinus, tangentes, avec une précision maximum de 4 chiffres pour les plus doués d'entre nous.

Je me souviens de ces réunions de bureau d'études où, autour d'une table nous étions une trentaine d'ingénieurs et lorsque l'un d'entre nous donnait une information sur un calcul relatif à un mouvement d'un avion, il y avait toujours un ou deux ingénieurs qui utilisant sa règle , contestaient les calculs.

Il y avait dans ces réunions un mélange de sueur, de réflexions mais aussi de tabac car à l'époque il était permis de fumer en réunion et la plupart des ingénieurs fumaient énormément.

Ce que j'ai bien aimé de mon travail de cette époque c'est que cela me permettait de comprendre le fonctionnement du pilotage d'un avion et que je pouvais pour la première fois vérifier que les lois mathématiques correspondaient à la réalité physique du vol .

Par contre à mon arrivée à l'Aérospatiale je n'avais pratiquement pas de connaissance en aérodynamique et j'ai du m'y mettre à fond.

Les débats entre nos patrons qui étaient les concepteurs des équipements et les pilotes d'essais qui validaient nos résultats étaient parfois houleux.

Je me souviens d'un cas d'atterrissage par vent de travers où il fallait régler les paramètres du pilote automatique latéral pour que l'avion se pose sur la piste correctement.

J'étais fier de mes calculs parce que l'avion se posait parfaitement au milieu de la piste.

Mais le pilote d'essai n'était pas du tout d'accord avec ce réglage. Alors un jour il nous a embarqué avec mon chef pour voir directement ce qui se passait sur un vol réel....

On s'est installé dans la cabine de l'A300 juste derrière le pilote et au moment de l'atterrissage le pilote a mis en route le pilote automatique puis il a enlevé ses mains du manche et il s'est tourné vers nous pour voir nos réactions.

Et là la frayeur de ma vie...

L'avion se rapprochait rapidement du sol on était pratiquement au niveau de la piste puis quand notre système s'est mis en route, l'avion s'est écarté sur le coté.

Puis, comme l'on se rapprochait de plus en plus du sol , on ne vis plus la piste mais seulement l'herbe.

Au dernier moment , l'avion s'est rapproché de la piste et finalement s'est posé pile au milieu , juste comme je l'avais calculé.

Théoriquement, j'avais raison mais aucun pilote n'aurait laissé son avion faire une manœuvre pareille.

Le pilote s'est bien marré de voir notre frayeur.

 

Une autre histoire.

On a eu à modifier les paramètres du stabilisateur de lacet de l'A300 suite à un incident.

On s'était aperçu que par vent de travers comme par exemple lors du vol Paris Londres, les passagers des 4 derniers rangs étaient tous malades car ils étaient très secoués par les mouvements de la gouverne de direction qui était pilotée en mode automatique par le stabilisateur de lacet.

Je  ne vais pas expliquer le détail mais c'était du à un problème de modes de structures et au fait que l'accéléromètre du stabilisateur de lacet était mal positionné.

Quelque mois plus tard, j'étais en vacances chez mes parents à Cannes et un ami de mon père m'avait posé quelques questions sur mon métier d'ingénieur à l'Aérospatiale.

Assez fier de moi, je lui ai expliqué que je venais de participer à la modification d'un système qui était du à une défaillance de l’empennage de l'Airbus.

Et une après midi , alors que je jouais aux boules avec quelques amis de mon père, j'entendis quelqu'un derrière moi dire avec l'accent de Marseille :" Le fils de Louis (c'est moi) c'est un savant....Il a même soigné la queue de l'Airbus.... »

A cette époque, l'Aérospatiale était relativement différente de ce que j'en sais aujourd'hui.

Il y avait une grande différence de considération entre les cadres et les non cadres.

Je me souviens de quelque chose qui m'avait profondément choqué lors de mon arrivée au bureau d'études.

A midi les non cadres devaient attendre la sonnerie pour aller manger à la cantine et quelques minutes avant ils s'alignaient dans les couloirs et ne sortaient qu'au signal.

Par contre moi jeune cadre, je passais devant eux et je sortais sous leurs regards envieux.

Il y avait parmi eux des vieux ouvriers que j'avais bien connus lorsque je travaillais au bureau de tabac de mes parents et aussi les pères de mes copains.

Les cadres portaient tous la cravate et ils avaient un chiffre distinctif sur le badge.

A ce sujet je me souviens d'une autre histoire qui m'est arrivée lors de mon premier jour à l'Aérospatiale.

Au LAAS et à l'Université les enseignants et les chercheurs ne portaient pas de cravate aussi lorsque je suis arrivé à l'Aérospatiale, je n'en portais pas.

Ce premier jour j'ai été convoqué au poste de gardes , je ne me souviens plus pourquoi .

Dès mon entrée le gardien m'a parlé sur un ton agressif et il m'a demandé de lui montrer ma carte.

Mais dès qu'il a vu ma carte et qu'il a compris que j'étais cadre il s'est radouci et il s'est même excusé de m'avoir parlé sur ce ton.

Dès le lendemain et jusqu'à mon dernier jour de travail à l' Aérospatiale j'ai toujours porté une cravate.

La séparation entre les cadres et les non cadres n'étaient pas la seule caractéristique de cette époque.

Il y avait aussi les repas par niveau hiérarchique. Chaque salle de restaurant était réservée à un niveau.

Il y avait les restaurants ouvriers, les restaurants techniciens et les restaurants cadres.

Et parmi les restaurants cadres, les restaurants pour les ingénieurs position 1, les débutants, pour les ingénieurs position 2, puis 3A, puis 3B , puis 3C et Pour les cadres de direction, comme à l'armée.

Ce qui fait que lorsque l'on avait de l'avancement et que l'on changeait de position hiérarchique on ne mangeait plus avec ses collègues.

Un autre fait de cet époque relatif aux repas c'est que l'on avait une place réservée et les nouveaux embauchés qui n'avaient pas encore de place affectée devaient attendre que tous le monde soit installé pour s’asseoir à la place des absents.

Je me souviens qu'il n'y avait pas de self .On était servi à table et il y avait de la soupe à chaque repas et du vin à volonté. Les plus anciens sortaient du repas qui duraient fort longtemps, assez repus et souvent éméchés.

Les bâtiments n'étaient pas climatisés et parfois l'été les ingénieurs venaient travailler en short. J'en ai même vu qui se trempait les pieds dans une bassine d'eau froide.

Le travail était assez complexe. Il fallait maîtriser de nombreuse théories mathématiques ,trigonométrie, équations différentielles, variables d'états, systèmes aléatoires, calcul matriciel.

Mais cela se passait dans la décontraction et on quittait le bureau relativement tôt. Et comme il y avait peu d'embouteillage on rentrait assez tôt à la maison.

On avait le temps de faire du sport en semaine. Je n'ai jamais été très doué en sport mais c'est au bureau d'études que j'ai pratiqué le football, le rugby , le tennis et surtout le vélo sur route.

 

 

Revenons aux études.

Les ingénieurs confirmés, nos chefs, avaient un comportement qui paraîtrait assez étonnant aujourd'hui.

Je me souviens par exemple d'un service informatique qui était organisé comme une classe de collège.

Les ingénieurs avaient leurs bureaux cote à cote comme dans une classe et le responsable avait son bureau en face d'eux comme la chaire d'un professeur.

Il ne travaillait pas , il les surveillait et parfois il faisait une petite sieste.

Je me souviens qu'un jour où j'étais venu contacter un informaticien qui m'aider à développer un programme, celui-ci m'avait dit : » ne parles pas trop fort, tu vas réveiller le chef »

Une autre histoire.

Un jour j'ai participé à une réunion entre des ingénieurs de l'Aérospatiale et des ingénieurs de la CII.

Une entrevue entre deux tribus aux coutumes très éloignées.

D'un coté, les ingénieurs de l'Aéronautique, vieille industrie. Ils étaient plutôt âgés, parlaient avec l'accent toulousain et étaient d'un abord un peu rustre et jouaient les incompétents.

De l'autre, les ingénieurs de la CII, industrie électronique, activité récente à l'époque avec de jeunes cadres dynamiques parlant avec l'accent parisien et très fiers de leurs compétences dans ces nouvelles technologies.

La réunion avait été décidée à l'initiative de l'Aérospatiale qui envisageait de remplacer dans les systèmes de pilotage automatique de l'Airbus les cartes électroniques par des logiciels tournant sur des calculateurs.

A l'époque on avait très peu d''expérience sur les calculateurs embarqués et l'on jugeait les logiciels peu fiables.

Par contre la CII développait depuis un certain temps des calculateurs pour les systèmes de Défense.

C'était donc les vieux ingénieurs qui venaient s'informer au près des jeunes .

La réunion commença par un exposé d'une heure ou deux sur les méthodes informatiques et les avantages liés à l'utilisation de leur calculateur.

A la fin de l'exposé le jeune et brillant orateur questionne l'assemblée.

Et là, notre grand patron répond avec un fort accent catalan : «  je vais résumé l'opinion générale, nous n'y avons rien compris... »

Silence général...embarras du jeune cadre …

Puis nous sommes passé à table...Eau plate pour les jeunes cadres de la CII et grands vins pour les cadres de l'Aérospatiale.

Vers la fin du repas, le jeune cadre regarde sa montre et dit : «  nous sommes un peu en retard pour la visite ! Je vous propose de quitter la table avant les digestifs ! »

Réponse de notre patron : «  désolé mais quand l'armagnac est sur la table, on ne la quitte pas sans le goutter d'autant qu'il me semble excellent . «  et il se sert un grand verre, sert ses collègues et les jeunes cadres rougissants.

C'était comme ça à l'Aérospatiale.

J'aimais bien mon travail au bureau d'études. Mais au bout de quelques années, je commençais à me lasser de toutes ces équations et je trouvais mes activités un peu trop théoriques. Je n'avais de contact au sein de l'Aérospatiale qu'avec un petit nombres de services et aucun contact extérieurs ni avec les clients, ni avec les fournisseurs.

Au bout de quatre ans, j'ai fait ma demande pour être muté vers le département électronique de la production, exactement au laboratoire 39 qui développait les bancs de tests ATEC .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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