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Souvenirs henri
26 février 2015

1992 L'année de tous les dangers

 

Dès l'arrivée de mon nouvel actionnaire, le groupe Technicatome, je suis devenu, le principal décideur d'Isis.

Le capital d'Isis était composé de la manière suivante : Technicatome actionnaire principal 51% , Cisi ingénierie 34%

et International Ceis, l'ancien actionnaire majoritaire 15%.

Technicatome et Cisi étaient toutes deux filiales du C E A , le commissariat à l'énergie atomique.

 

Technicatome était une société d’ingénierie située à Aix en Provence dont l'activité principale correspondait au développement et à l'industrialisation des réacteurs nucléaires qui équipaient les sous-marins de la Défense nationale .

Cette société d'environ 1000 personnes avait un chiffre d'affaires de 1MF ( 150M€ ).

 

Isis quant à elle, avec ses 80 personnes et ses 25MF ( 3,8M€) de chiffre d'affaires n'était pas du tout stratégique pour Technicatome.

 

Dès cet instant, ma position au niveau de l'entreprise s'est considérablement amélioré car Didier Bernadet le président de Ceis, après avoir vendu 85% d'Isis n'était plus de fait mon supérieur hiérarchique.Ce fut un très grand changement .

Je ne rendais de compte qu'au président de Technicatome, Yves Bonnet au travers de notes synthétiques et d'un conseil d'administration mensuel.

Je ne devais communiquer au conseil que les résultats financiers de l'entreprise , chiffre d'affaires, résultat, et commandes .

 

Par contre je pouvais embaucher directement, fixer les augmentations de salaires, décider seul de répondre aux appels d'offres et dérouler ma stratégie pour le développement de la société dans la limite de mes moyens financiers et tout ceci pratiquement sans aucun contrôle de mes actionnaires.

 

J'ai réalisé dès cet instant, ce que c'était qu'être un vrai décideur. Le pied !

 

 

Fin 1991, au cours d'un conseil d'administration, je présentais pour la première fois la société à mes actionnaires de la manière suivante :

 

L'activité principale d'Isis concerne trois segments du marché du test électrique, le test d'équipements, le test de cartes et le test systèmes.

Le test d'équipements consiste à concevoir et à mettre au point des programmes pour équipements embarqués complexes tels que pilotes automatiques, centrales inertielles, systèmes de radio navigation. Cette activité nous a permis de totaliser en 10 ans plus de 700 000 heures de programmes sur divers moyens de transport et de défense : avions civils pour Airbus et Boeing, avions militaires pour Dassault aviation, Chars pour Giat industries .

Ces programmes sont utilisés dans le monde entier par plus de 30 compagnies aériennes et 15 bases de défense aérienne, navale et terrestre.

Pour développer ces programmes nous disposons d'un service de 47 personnes qui utilisent trois testeurs automatiques Atec 5000 réalisés par la division électronique d'Airbus.

Avec un seul client, c'est l'activité majeure de la société et sa principale et pratiquement unique source de revenu.

Les autres activités devront être développées pour accroître la pérennité de l'entreprise.

C'est mon challenge.

 

Le second segment concerne le test de cartes électroniques. Il s'agit ici de développer des logiciels de test sur des testeurs fonctionnels . Nos clients sont des sociétés de productions de cartes électroniques elles mêmes sous-traitantes des industriels de l'automobile, des télécommunications et du ferroviaire .

Cette activité est en démarrage avec sur Paris une équipe de 4 personnes qui utilisent en location les testeurs du service de maintenance de la RATP .

 

Le troisième segment que nous venons de démarrer , lui aussi très prometteur est celui du test système qui recouvre toutes les taches d'intégration de satellites et de lanceur de type Ariane.

Nos techniciens travaillent en salle blanche en sous-traitance dans les locaux de notre client unique, la société Matra espace.

Cette activité très rentable ne demande pas d'investissement particulier car elle utilise les mêmes techniciens que ceux affectés au test d'équipements et elle nous permet de lisser nos charges de man power.

 

Et enfin une activité de développement de projets à fortes compétences électroniques et informatiques. Cette activité relativement modeste aujourd'hui, concerne 9 personnes qui sont jusqu'à présent utiliséses en sous-traitance de Ceis, mais avec l'arrivée de notre directeur technique Michel Hollinger nous comptons développer fortement cette activité et répondre directement à des appels d'offres .

 

 

Pour résumé , j'expliquais à mes nouveaux actionnaires, visiblement ravis, que je comptais développer fortement cette activité d'études projets comme je l'avais déjà réalisé quelques années plus tôt lorsque j'étais chez Matra espace et bien sûr en utilisant les ressources financières dégagées par les activités de test d'équipements, notre vache à lait comme on l'explique dans les écoles de commerce.

 

J'attendais en particulier avec impatience l'instant où mon client Airbus allait gagner l'appel d'offres pour la réalisation du nouveau testeur de l'avion Rafale qui donnerait à Isis une charge conséquente pendant plusieurs années.

Je n'étais pas inquiet pour l'avenir car depuis plus de dix ans, le département électronique d'Airbus remportait systématiquement tous les appels d'offres relatifs à la conception de testeurs spécifiques affectés à la maintenance des avions de Dassault aviation tels que le Mirage 2000, le Super étendard, le Transal et que les programmes de test de ces avions étaient tous réalisés par Isis et ses concurrents Seo et Latécoère.

C'est d'ailleurs pour cette raison que j'avais, 6 mois auparavant, décidé de quitter Matra pour rejoindre Isis......Tout était parfait, sauf que ….

 

Ce n'est pas Airbus qui gagna cet appel d'offre mais la société Sfena, filiale de Thomson.

 

 

Et le cauchemar commença.

Tout d'abord, notre client , le département électronique d'Airbus a vu aussitôt sa charge interne diminuée de moitié.

Les cadres dirigeants , mes anciens collègues et amis qui m'avaient incité à quitter Matra , jugés responsables de cet échec furent tous remplacés par de nouveaux cadres qui étaient pour la plupart défavorables à Isis.

Très rapidement, ces derniers décidèrent que, vu que la charge qu'ils avaient à sous-traiter dorénavant était diminué d'environ un tiers, il suffisait de supprimer un sous traitant sur trois.

Et comme depuis quelques années, les guerres incessantes entre le président et le directeur d'Isis

avaient généré énormément de problèmes chez eux, ils décidèrent tout naturellement de se séparer d'Isis.

Comme la compétence de certains techniciens d'Isis leur paraissaient indispensable, ils avaient même imaginé de les faire embaucher par les sociétés concurrentes.

C'est ainsi que lors d'une réunion mensuelle de coordination , je me souviens , j'étais entouré de Philippe Lambert, Mohamed El Ouardi, Jean Paumes  et Jean-Paul Milhau, très simplement les responsables d'Airbus nous ont expliqué que pendant six mois notre charge serait inchangée, puis pendant six mois elle serait diminuée de moitié et enfin au bout d'un an Airbus ne nous donnerait plus de travail.

La charge de cette activité correspondait à environ 70% des effectifs productifs de la société et était pratiquement la seule rentable.

En d'autre terme , ils me demandaient de mettre la clé sous la porte.

Je crois plus simplement que comme beaucoup de responsables de grands groupes, ils ne se rendaient pas compte des conséquences humaines de leurs décisions.

J'avais quitté Matra pour une belle aventure et moins de six mois après mon arrivée chez Isis elle se transformait en cauchemar.

Il fallait réagir rapidement.

Tout d'abord, je présentais la situation à mon conseil d'administration qui tout simplement et sans état d'âme, me suggéra de liquider la société.

Je ne pouvais me résoudre à cette extrémité . J'ai tenté immédiatement un coup de poker.

Je proposais à mes actionnaires, puisque selon eux, la société n'avait plus de valeur, de la reprendre à titre personnel pour le franc symbolique.

Cela les a déstabilisé.

Comme ils étaient tous de la région d'Aix en Provence et peu au fait des affaires aéronautiques ils ont un instant imaginé que ce petit directeur toulousain voulait peut-être les enfumer.

Ils se sont réunis un instant et ont décidé de m'accorder un délai pour redresser la société.

J'imagine aussi que comme ils venaient il y a moins de trois mois de racheter cette société, ils n'avaient pas envie de présenter la facture à leurs propres actionnaires.

 

Il me fallait me retrousser les manches. Il y avait urgence. Je n'avais d'ailleurs pas le choix moi-même car comme je l'ai signalé auparavant, je n'avais pas de solution personnelle de replis.

Comme je ne pouvais pas augmenter mes commandes et mon chiffre d'affaires, il fallait immédiatement réduire les charges.

Très rapidement, j'ai compris avec le concours de mes cadres techniques et surtout de micheline Fontaine, la directrice administrative et financière qu'il faudrait se séparer de 25 techniciens productifs. Il fallait faire des listes.

Ce fut pour moi la période la plus affreuse de ma carrière professionnelle.

Une fois que mes cadres avaient fait leurs choix, il fallait convoquer les personnes une par une dans mon bureau et dans le bureau de micheline Fontaine et chercher une solution pour chacune d'entre elle. C'était terrible . Je me souviens des pleurs, des colères des résignations.

Je ne dormais pas bien à cette époque.

Mais avec le recul, je peux constater que j'ai eu beaucoup de chance.

Tout d'abord le personnel avait compris bien avant mon arrivée que la société avait des problèmes de pérennité et beaucoup avait imaginé quitter la société surtout les techniciens qui venaient d'être embauchés récemment.

Nous étions en 1992 et cette année là, il y avait encore beaucoup de possibilités d'embauches de câbleurs et de techniciens électroniciens notamment dans les entreprises qui travaillaient pour le secteur spatial.

De mon passage à Matra j'avais gardé un excellent contact avec un grand nombre de sous-traitants et chacun d'eux m'embaucha une ou deux personnes.

Je me souviens qu'à cette époque, je passais mes journées au téléphone à contacter toutes les sociétés de Toulouse pour leur proposer mes candidats.

J' expliquais que j'avais l'intention d'externaliser quelques activités et que s'ils m'embauchaient un technicien ou un cableur, je les utiliserais comme sou-traitant.

 

J'ai pu aussi, ce qui était encore mieux, placer des techniciens en sous-traitance dans les salles blanches de Matra et ainsi démarrer une nouvelle activité de test systèmes avec du personnel déjà formé et très compétent.

Finalement sur les 25 personnes qui ont quitté la société, 2 seulement ont été licenciés, ce qui eut deux avantages.

Tout d'abord, comme ce n'était pas très courant que des personnes quittent leurs sociétés sans être licenciés et que de plus elles étaient très contentes de leur nouvel emploi, le personnel restant m'a conservé sa confiance.

Et nous n'avons eu à verser que peu d' indemnités de licenciement ce qui a permis d'améliorer notre bilan de fin d'année.

 

Quand une société a une baisse soudaine de charge de cet ampleur, la réduction de personnel ne suffit pas. Il fallait aussi réduire les frais généraux de la société.

Et là aussi j'ai eu beaucoup de chance car comme Technicatome avait remplacé Ceis comme actionnaire principal, j'ai pu avec l’opiniâtreté de Micheline Fontaine renégocier de nombreux contrats qui avait été élaboré pour favoriser Ceis.

Je me souviens par exemple que les locaux d'Isis était loués à une personne via Ceis qui prenait au passage une bonne commission.

Finalement à la fin de 1992 le chiffre d'affaires de la société fut de 2,5M€ en baisse de 34%,

mais la masse salariale avait , grace à la réduction d'effectifs baissé de 19% et suite aux efforts de Micheline les charges totales de l'entreprise avait baissé de 45%.

 

Pour la première fois depuis la création de la société, le résultat était pratiquement nul mais la crise était passée et les actionnaires étaient momentanément rassurés.

 

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